Les instants perdus
Il y a un peu moins d'un an, quand tu es né, j'ai ouvert ce blog pour partager mon désarroi suite à ta naissance et passer à autre chose. Si aujourd'hui, je ne suis plus en colère malgré certains dysfonctionnements et quelques grosses incompréhensions, je suis beaucoup moins amère sur les conditions de ta naissance. Les seuls manques qui restent sont ces inconnues dans les premières heures de ta vie. Après ton départ avec le SAMU, nous, on est restés en salle de naissance. Une très longue après-midi à se questionner sur toi, à entendre les bébés qui crient dans les salles de naissance autour, les parents inquiets ou heureux, à se regarder dans le blanc des yeux et se dire "Bon, j'espère que ça va aller". Puis je suis arrivée dans ma chambre, dans laquelles les gentilles sage-femmes ont enlevé le berceau vide et sont restées un peu pour nous soutenir. Les seules nouvelles que nous avions, c'est que tu étais bien arrivé en réa et que l'on s'occupait de toi. Jusqu'à ce qu'on arrive pour te voir, nous ne savions rien de toi.
A l'heure où l'on devrait tisser un lien nouveau avec son bébé, je ne sais rien des petits détails qui ont fait les premières heures de ta vie. Une fois la couveuse partie, que s'est-il passé? Quel médecin de l'équipe du SAMU est resté près de toi pendant le trajet jusqu'à l'hôpital? T'a t-il parlé, rassuré, touché la main? Quelles sont les premières personnes que tu as vues à l'hôpital? Est-ce-que tu as eu peur et été rassuré? Est-ce-que l'on t'a pris dans les bras ou laissé sur ton berceau chauffant? Combien de prises de sang, d'échographies et radios? Est-ce-qu'on t'as expliqué ce qui t'arrivait? Qu'as-tu mangé les premiers jours? Toutes ces petites choses insignifiantes pour le personnel soignant, j'aurais aimé qu'on me les raconte, comme une puéricultrice des soins intensifs a pu le faire quelques jours plus tard. Mais l'urgence pour eux, c'était de t'examiner, parfois nous expliquer tout ça avec des mots souvent compliqués, surtout pour moi qui était encore dans une bulle, j'avais encore terriblement mal. Alors nous ne savons rien de toi, de tes premières heures de vie. Nous ne savons rien et je l'accepte. Tout cela va rester un gros mystère pour nous. J'espère que plus tard, à l'heure des premières questions que tu poseras, tu ne nous en voudras pas trop. On te racontera comment on est restés près de toi quasiment jour et nuit ensuite, les petits câlins qu'on te faisait et le premier peau à peau plus d'un jour après ta naissance. On te dira comment on a essayé de rattraper le temps perdu et comment on était heureux d'être près de toi. Et puis, si toutes ces réponses ne te conviennent pas, je te raconterai ce jour, lorsque tu avais dix mois, où je t'ai montré les couveuses de réa et que tu as éclaté de rire. Comme ça, je pourrai te dire que même si je ne sais rien de toi à ta naissance, je suis sûre que tu étais déjà un petit rigolo, comme ton père...